|
Fédération Nationale des Offices Municipaux du Sport LA VIOLENCE DANS LE SPORT
APPROCHE SOCIOLOGIQUE ET CULTURELLE Par Jean-Claude SICARD Secrétaire adjoint de la FNOMS Le sport moderne oppose au temps festif des jeux anciens, une temporalité construite et spécifique. Aux durées indécises et étirées des affrontements communautaires, il substitue un temps réglé de la pratique, enserré dans des limites précises, découpé en séquences ordonnées, décompté avec minutie. Au calendrier religieux et folklorique des rituels collectifs, il oppose un calendrier propre de compétitions dont les dates n’ont pas d’autre raison que les rythmes annuels de chaque discipline. Cela ne veut pas dire que le lieu ou le temps sportifs soient insensibles aux exigences du monde social. L’implantation et l’architecture des stades dépendent étroitement de la manière de gérer les populations comme des profits attendus du spectacle. La durée des parties et des calendriers des compétitions doivent se soumettre aux temporalités dictées par les exigences des médias, les rythmes de travail, les habitudes du loisir. Mais la vulnérabilité de la pratique sportive aux incitations extérieures qui peuvent en modifier les conditions d’exercice, suppose le postulat de son autonomie. Celle-ci trouve sa formulation la plus explicite dans l’élaboration des codifications qui norment la pratique. Les conventions multiples, temporaires, incertaines qui liaient les participants des jeux traditionnels cèdent la place, dans le sport moderne, à des règles fixes, visant à permettre une pratique uniforme et potentiellement universelle. Comme le montre l’exemple du football et du rugby, étudié par Elias et Dunning (Sport et Civilisation – La violence maîtrisée), l’histoire de chaque sport est donc, fondamentalement, l’histoire de la constitution d’un corps de règlement, de plus en plus détaillé et précis, qui impose un code unique à des manières de jouer ou de s’affronter qui, auparavant, étaient strictement locales ou régionales. Un exemple comme celui de la boxe montre que les règlements sportifs, comme toutes les autres codifications juridiques, impliquent l’existence d’un corps de légistes chargés de les fixer, de les modifier ou de veiller à leur respect. La différence avec les jeux traditionnels est donc double : d’une part, des règles uniformes remplacent progressivement des usages locaux ; d’autre part, des spécialistes ont charge d’instituer et de dire un droit spécifique qui régit, en dehors du droit commun, les pratiques sportives. Le sport, n’est pas, pour autant, soustrait à la loi, ce qui permet de porter devant les tribunaux des affaires « proprement sportives ». Mais c’est à partir de ses réglementations propres qu’il faut comprendre deux de ses traits les plus fondamentaux : la réduction du niveau de violence tolérable dans les affrontements physiques et le développement d’une éthique de la loyauté qui ne sépare pas le désir de victoire du respect des règles et du plaisir du jeu, quelle qu’en soit l’issue. Ces deux caractéristiques majeures conduisent à la question essentielle : comment situer, dans la longue histoire du procès de civilisation, les transformations de la personnalité qui rendent possible le relâchement des contrôles émotionnels sans que pour autant soit donné libre cours aux mouvements spontanés et dangereux des pulsions et des affects. Le plaisir de la pratique ou du spectacle sportif tient à l’excitation que procurent une mise en jeu des corps fougueux mais respectueuse de la vie et les péripéties d’une lutte sévère qui n’est, toutefois, qu’un simulacre des affrontements guerriers et violents. Les activités du temps libre qui situe l’exercice ou le spectacle sportif parmi les activités de loisirs, de caractère mimétique ou ludique, ne sont pas toutes sportives, permettant de ressentir et d’exprimer les émotions qui, d’ordinaire, doivent être bridées ou censurées. Un relâchement temporaire, localisé, du contrôle sur les pulsions et les affects, n’est possible que s’il existe une intériorisation suffisamment forte et répandue des mécanismes de l’auto-contrainte. Ce n’est qu’une fois atteint le stade où les dispositifs de l’autocontrôle commandent de manière identique et régulière tous les compartiments que la libération des émotions peut s’effectuer dans certaines activités sans que pour autant la société soit mise en danger par un retour sauvage de l’agressivité et de la violence. L’apparition du sport comme un strict contrôle de la violence à l’intérieur même de l’affrontement corporel, n’est possible qu’à partir du moment où trois traits caractéristiques de l’avancée de tout procès de civilisation, façonnent largement l’habitus social des hommes et des femmes :
Le sport ne peut être caractérisé à partir d’une fonction unique : magique, religieuse, rituelle ou autre, qui partout et toujours serait identique. Il ne peut l’être qu’en rapportant ses règles spécifiques à la structure particulière de la personnalité. Cette structure dépend directement des formes que prennent les luttes pour le pouvoir. Cela suppose la généralisation d’un mode d’exercice du pouvoir, d’un modèle d’affrontement et d’un équilibre des tensions qui fait incorporer, par les individus, un très fort contrôle de leurs affects, condition même, pour que soit possible et plaisante, tout en étant sans risque excessif, l’excitation émotionnelle provoquée par la pratique et le spectacle sportifs. La violence dans le sport, des pratiquants mais plus encore des supporters, doit être comprise comme une moindre valorisation et une moindre capacité à l’auto-contrainte des pulsions dans une partie de la population qui, de par sa position d’exclusion ou de marginalisation, n’a pas atteint le stade du procès de civilisation qui est celui de la plus grande partie de la société dans laquelle elle vit. Un lien fondamental associe donc les comportements brutaux, prohibés et répréhensibles à un habitus social qui, loin d’avoir intériorisé le contrôle nécessaire de l’agressivité, reconnaît la violence comme une valeur, et a une position « d’outsider » dans le monde social, à distance des dispositifs institutionnels ou sociaux qu’installent dans les individus, les mécanismes de contrôle de soi. Mais ne réduit-on pas les multiples investissements de sens dont le sport est l’objet dans les sociétés contemporaines en le caractérisant fondamentalement à partir du dispositif psychologique qui le rend possible, à savoir le relâchement contrôlé des émotions ? Et en insistant sur ce trait partagé, n’efface-t-on pas la diversité des pratiques et des consommations sportives, choisies par les groupes et les individus en fonction de dispositions éthiques, de styles de vie, de rapports au corps propre très différents et profondément transformés par l’apparition du professionnalisme ? Les recherches ont permis d’approfondir chacune de ces interrogations, parfois en marquant de fortes divergences dans les manières de concevoir le sport. Les sports ont des fonctions spécifiques pour les participants, pour les spectateurs ou pour les nations et lorsque la forme donnée d’un sport ne remplit plus ses fonctions de manière satisfaisante, les règles peuvent être changées. On différencie les sports selon leurs règles et donc selon le modèle de la compétition. C’est pourquoi ce n’est pas seulement une manière de parler que de considérer l’émergence des sports comme le développement d’un processus et non comme un simple problème historique. Le sport est une activité de groupe organisée qui repose sur une compétition entre au moins deux parties. Il nécessite un effort physique et obéit à des règles dont certaines limitent, lorsque le besoin se fait sentir, l’usage de la force physique. Dans cette compétition, la configuration humaine est ainsi ordonnée qu’elle engendre des tensions tout autant qu’elle les contient. L’une des caractéristiques d’un jeu sportif arrivé à maturité, réside dans le fait que la période de tension n’est ni trop courte ni trop longue. La plupart des sports, comme les bons vins, mettent du temps à vieillir et à atteindre la maturité optimum. C’est la configuration temporaire des joueurs et non la configuration plus permanente instituée par le modèle de jeu lui-même, qui est responsable des imperfections de l’équilibre des tensions, caractéristique des jeux sportifs (par exemple, une victoire précipitée et une impossibilité de conclure sont en partie dues à l’élaboration du modèle de jeu, de la configuration et de sa dynamique ; la configuration est dépourvue de tension si l’un des adversaires fait preuve d’une force et d’une adresse trop écrasantes ; par contre, la compétition risque de traîner si les adversaires font preuve d’une force et d’une adresse égales). Les joueurs doivent trouver le juste milieu entre le respect des règles et des conventions et l’effort pour les exprimer ou les tourner en jouant à la limite de l’infraction. Si pour rester loyaux et beaux joueurs, ils n’exploitent pas toutes leurs chances de gagner, ils risquent fort de voir la victoire leur échapper ; s’ils mettent tout en œuvre pour gagner, le jeu lui-même peut dégénérer. Avec l’internationalisation des règles, la polarité, entre les joueurs qui avaient tendance à respecter les règles et ceux qui avaient tendance à les contourner ou à s’y dérober, s’est doublée d’une autre polarité entre deux groupes, d’une part, les législateurs de l’organisation nationale et d’autre part, les joueurs. Les premiers légifèrent avec le souci du jeu dans son ensemble et de ses relations avec le grand public ; les seconds, uniquement préoccupés de leurs chances de gagner, éprouvent l’élasticité de toutes les règles verbales en cherchant des échappatoires et en contournant les intentions des législateurs. L’évolution du sport en général, aussi bien que des sports particuliers, participe de l’évolution plus large des sociétés dans lesquelles ces sports sont pratiqués, et de plus en plus, puisqu’ils sont pratiqués à un niveau international, de l’évolution de la société mondiale. Au centre de la configuration d’un groupe engagé dans un sport, il y a toujours un simulacre d’affrontement, les tensions contrôlées qu’il engendre et, à la fin, la catharsis, la libération de la tension. Dans la pensée et la sensibilité traditionnelles, les tensions, en tant que phénomènes sociaux, sont tenues pour contraires aux normes (anormales), nuisibles et indésirables. Notre époque passe pour être une des plus violentes de l’Histoire. Cela repose, pour une part importante, sur le sentiment répandu que la violence augmente dans les sports et autour d’eux. Il semble que l’on peut établir au moins huit distinctions parmi les formes de violence humaine : 1 – la violence est véritable ou symbolique, c’est-à-dire qu’elle constitue une agression physique directe ou se limite à des gestes verbaux et/ou non verbaux 2 – la violence est jeu ou simulacre ou bien sérieuse et réelle (le rituel ou le ludique peuvent tous deux avoir un contenu violent) 3 – il y a utilisation d’une arme ou de plusieurs 4 – dans le cas où des armes sont employées, les assaillants entrent en contact direct 5 – la violence est intentionnelle ou elle est la conséquence accidentelle d’une séquence d’actions qui n’étaient pas intentionnellement violentes au départ 6 – la violence n’a pas été provoquée ou il s’agit de représailles exercées en réponse à un acte de violence intentionnel ou non intentionnel 7 – la violence est légitime en ce qu’elle s’accorde avec un ensemble de règles et de valeurs prescrites par la société ou bien elle est non conforme, illégitime en ce qu’elle contrevient aux normes sociales 8 –la violence est rationnelle ou affective, c’est-à-dire qu’elle est un moyen rationnel de parvenir à un but donné ou une fin en soi qui satisfait à un besoin émotionnel ou à un plaisir. Autrement dit, on distinguera la violence dans sa forme instrumentale et la violence dans sa forme expressive. Tous les sports sont par essence compétitifs et donc stimulateurs d’agression et de violence. Sur un terrain de sport, les simulacres de combat peuvent relever d’une violence rituelle ou en acquérir les traits. Ce phénomène se produit lorsque, soit par le fait de pressions sociales, soit à cause de récompenses financières ou honorifiques, la participation des gens à un sport est trop sérieuse. Il en résulte une élévation de la tension qui fait pencher la balance entre la rivalité amicale et la rivalité hostile, en faveur de cette dernière. Les règles et les conventions conçues pour limiter la violence et la canaliser de manière socialement acceptable, sont alors parfois enfreintes et les gens se battent pour de bon. Ils jouent afin de causer des torts physiques et afin de faire souffrir. Parallèlement, on en vient, dans les coulisses, à rejeter de plus en plus la violence, à employer le langage de la psychopathologie pour décrire ceux qui y prennent ouvertement plaisir. Cependant, ce processus amène les gens à planifier, à prévoir et à utiliser des stratégies plus rationnelles pour parvenir à leurs fins ; il a pour conséquence également, de provoquer socialement une compétitivité accrue et de contribuer à augmenter le recours à une violence calculée, dans des situations spécifiques. Bien que la presse en fasse peu état, il n’existe guère de pays, de régions ou de villes où les matches de sports collectifs ne donnent lieu à des débordements. Parce qu’il est le plus connu et le plus important, penchons-nous un peu sur le hooliganisme dans le football, en tant que phénomène social. Le comportement désordonné des supporters est complexe et comporte de multiples facettes. Ce terme s’applique à un langage grossier et à un comportement qui, dans d’autres situations, pourrait être simplement considéré comme un exemple d’exubérance ou de rudesse. Bien des supporters de football que l’on arrête, n’ont commis que des délits relativement mineurs. Dans des manifestations plus sérieuses cependant, le hooliganisme désigne l’invasion délibérée du terrain de jeu afin d’interrompre un match et, ce qui semble plus grave encore, des affrontements de grande ampleur, souvent violents et destructeurs, entre groupes de supporters opposés. Les faits semblent prouver que si de nombreux supporters sont entraînés dans des incidents (supporters qui, au départ ne se rendent pas au match avec l’intention de semer le trouble) ; pour les plus durs d’entre eux, « aller au match » implique essentiellement un comportement agressif. Suffisamment habiles pour échapper aux arrestations, ils n’apparaissent pas toujours dans les statistiques de la police. Ils utilisent des tactiques élaborées pour essayer de déborder les forces de sécurité. Les affrontements se déroulent sous des formes bien diverses, que vous connaissez et pas seulement confinés au stade, mais aussi à ses environs, le centre ville, les bars … Les équipes de « combat »’ ou les « super hooligans » sont souvent affiliés à des organisations racistes et d’extrême droite. Ils ne rendent pas au match avec les moyens officiels, mais avec des mini bus ou autres moyens de locomotion particuliers, n’arborent pas l’attirail vestimentaire du parfait supporter, l’un de leurs objectifs est d’engager un affrontement ; la consommation d’alcool ne peut être tenue pour une cause significative ou profonde, les incidents ou la violence sur la pelouse, non plus. Ils ne représentent que des possibilités susceptibles de développer l’agressivité et de se croire autoriser à transgresser les lois. Le hooliganisme est aussi une occasion de mettre en scène le rapport hostile établi avec la police, hors du football, et d’exprimer le mépris des valeurs respectables sur la scène publique. On ne peut également dissocier ce phénomène du désir de démonstration, pour de jeunes adultes, de leur masculinité. Mais le hooliganisme ne correspond pas exclusivement à une tranche d’âge ou à une couche de la population, même s’il ne change pas dans forme, son contenu ou ses conséquences. Pour bien comprendre le hooliganisme dans le football, il faut analyser les transformations sociales (y compris économiques) depuis la seconde guerre mondiale, et surtout analyser l’évolution, en premier lieu, de la manière dont les communautés et les valeurs qu’elles épousent sont produites et reproduites au cours d’une durée bien plus longue et en second lieu, de l’intensité variable avec laquelle le football est devenu l’arène où ces valeurs s’expriment. Tous les sports qui comportent une compétition, provoquent une montée de l’agression. Si bien souvent l’agression s’exprime par des formes de violences contraires aux règles dans certains sports, cette violence est une composante centrale et légitime, sous la forme d’une bataille ludique ou simulacre de combat (boxe, lutte, rugby etc.) On ne peut passer sous silence le côté « macho », le sport devenant presque secondaire. Beaucoup de femmes, de par leur socialisation, continuent d’être attirées par ces hommes « macho », et les sports, surtout ceux d’affrontement, développent ce complexe « macho » et perpétuent la dépendance féminine qui en découle. Le concept de violence étant délimité, il faut préciser que dans le champ de l’activité sportive, celle-ci peut se manifester de diverses façons. Le plus souvent, elle constituera des infractions à la loi pénale que le résultat obtenu ait été ou non voulu. Parfois, il s’agira d’une violence purement accidentelle qu’on ne pourra éviter d’évoquer, au moins dans l’approche criminologique. Le phénomène de la violence dans le sport doit être comme tous les faits sociaux constitutifs de délinquance, appréhendé à partir d’une double perspective : juridique et empirique ; parce que les données collectées par ces deux approches sont de nature très différente. Dans le premier cas, on étudie le phénomène d’un point de vue nominatif. Il s’agit de l’envisager à partir du point de vue du pénaliste, cela implique qu’on laisse de côté les aspects de responsabilité civile pouvant, par exemple, peser sur les clubs ou les fédérations, sur le fondement de la responsabilité contractuelle ou délictuelle, ainsi que de responsabilités disciplinaires ou professionnelles, relevant des instances chargées de rendre la justice sportive. Les normes juridiques varient considérablement d’un pays à l’autre. Dans le second cas, on étudie le phénomène dans une perspective criminologique, au sens large, pour appréhender la façon dont les choses se passent dans la réalité. A l’examen des conduites délinquantielles, on distingue deux cas : 1 – les comportements répréhensibles spécifiques à ce milieu, en ce sens qu’ils ne peuvent être adoptés qu’à l’occasion d’une activité sportive. 2 – des infractions qui ne sont pas spécifiques au dit milieu dans la mesure où elles peuvent être également commises par quiconque, en tout domaine de la vie courante. 1 – LES INFRACTIONS DE VIOLENCE SPECIFIQUES AU MILIEU SPORTIF Depuis quelques décennies, on a assisté à un développement considérable du phénomène des supporters. Malgré la crise économique, cela se traduit par des déplacements en masse de groupes de personnes vers les lieux des grandes manifestations sportives (matches de foot, de rugby, championnat du monde d’athlétisme, J.O, etc.) Cela malheureusement se traduit aussi par la perpétuation d’actes de violence d’autant plus insupportables qu’ils ternissent l’idée que l’on se fait du sport. L’augmentation du nombre et de la gravité de ces actes a conduit les autorités à réagir :
Ces textes ont pour but de dissuader les supporters de recourir à la violence. Sept sortes de comportement sont répertoriées (dans une enceinte sportive bien sûr) :
Vous pouvez trouver toutes les précisions concernant les conditions constitutives et les modalités répressives dans le livre : Série « QUE SAIS-JE » aux Presses Universitaires de France – la violence dans le sport de Jean-Yves LASSALE. 2 – LES INFRACTIONS DE VIOLENCE NON SPECIFIQUES AU MILIEU SPORTIF Cette seconde catégorie est en réalité la plus importante. Il est possible de distinguer trois cas, selon que la violence est dirigée vers les personnes, les biens ou l’Etat. La violence contre les personnes est celle qui a le plus grand écho dans l’opinion publique ; il s’agit essentiellement des atteintes à la vie et à l’intégrité corporelle. Il faut noter qu’en droit pénal, le terme de violence est normalement réservé aux seules atteintes corporelles. Mais on comprend que les agressions contre la vie constituent les manifestations les plus graves de la violence et que l’on peut se permettre d’attribuer à ce concept, une signification plus large que celle ayant cours chez les pénalistes. Bien plus que l’élément matériel, c’est l’élément moral qui distingue les deux grandes catégories d'atteintes corporelles, dans un cas, c’est une intention délictueuse, dans l’autre, c’est une simple faute. En milieu sportif, les violences se séparent en deux :
Il faut savoir aussi qu’en droit français, il y a des institutions qui font disparaître le caractère répréhensible de l’infraction, pourtant constituée en tous ses éléments. La plus connue du grand public est celle de la légitime défense. Il se trouve qu’en matière sportive, une cause de justification peut être parfois utilement invoquée à l’endroit de certaines violences volontaires ou involontaires dont la constitution ne fait aucun doute. Si bien qu’il convient de s’interroger sur cette possibilité et sur sa mise en œuvre. Pour invoquer un fait justificatif, il faut en percevoir correctement son domaine et son fondement. Les règles juridiques qui concernent la mise en œuvre de la justification ont trait à ses conditions et à sa preuve. L’imputation des violences liées à la pratique sportive soulève deux séries de questions : celle de l’impunité des personnes morales et celles des causes de non-imputabilité éventuelles. Enfin, dernier aspect de l’étude des atteintes à l’intégrité corporelle d’autrui, lors des manifestations sportives, la sanction de ces atteintes prend d’abord et surtout, la forme répressive mais peut également revêtir un mode non répressif. Les sanctions répressives consistent en des peines principales et des peines complémentaires. D’une manière générale, que le coupable soit sportif, supporter, organisateur, dirigeant, les juridictions répressives ou civiles peuvent lui infliger des sanctions civiles consistant, le plus souvent, en des dommages et intérêts au profit de la victime. De façon plus spécifique, les sportifs, auteurs de violences, peuvent subir des sanctions sportives et professionnelles. Les fédérations sportives sollicitées ne fournissent souvent que des informations fragmentées, largement inexploitables. Cependant, cette criante lacune a été perçue car certaines fédérations commencent à élaborer des instruments destinés à saisir les variations quantitatives des actes de violence commis par les sportifs et des accidents subis par ces derniers Depuis 1995, les ministères de l’Intérieur et des Sports ont mis en place un observatoire. Il reste que cette création représente un très net progrès dans la connaissance du phénomène même s’il semble ne s’intéresser qu’à un aspect de la violence liée aux activités sportives : celle des supporters. Une nouvelle commission doit siéger au Ministère des Sports depuis trois ans, mais, votre serviteur, désigné par notre fédération pour la représenter, n’y a jamais été invité. C’est dire qu’il faut encore améliorer les choses si l’on veut avoir une idée précise des diverses facettes de la réalité étudiée. Je terminerai sur la violence des sportifs par l’examen de quelques conduites sportives spécifiques qui, en évoluant, ont amplifié le phénomène. A l’analyse, on s’aperçoit que si aucune discipline n’est véritablement épargnée, les actes de violence se rencontrent surtout dans un minimum : les sports d’équipe impliquant un fort contact physique. Des facteurs sont susceptibles d’avoir une influence ou une explication sur la violence sportive : la progression des tactiques défensives, la solidarité, la détermination, plus facile que le génie créatif ou la perfection technique, l’encombrement du terrain récoltant de l’augmentation des aptitudes physiques, le manque de sévérité de l’arbitrage, le manque de soutien des arbitres par les autorités, ce qui conduit surtout à éviter les vagues. Autre élément déterminant, l’importance de l’argent pour le haut niveau, a créé des conditions radicalement différentes et pose un problème réel de même que l’impact médiatique présenté par ces activités sportives. De par la combinaison de la structure formelle et de l’interprétation des règles par les athlètes et l’arbitre, les actes de violence sont à craindre de plus en plus selon le sport collectif concerné. Cette violence est légitimée par le discours, tenu habituellement par les entraîneurs, les joueurs justifiant pour tout sport viril, une interprétation laxiste des règles. La clémence coupable à ces actes s’oppose à l’approche de l’idée que le sport doit être une activité de fair-play. Force est de constater également que les actes de violence et d’indiscipline varient avec le temps et l’espace (début et fin de saison par exemple, Nord plus discipliné que le Sud, etc.) Malgré tout, les références aux accidents du passé montrent qu’il n’y a jamais eu d’époque paradisiaque même si les consignes de sévérité données aux arbitres et le barème des sanctions tentent de prouver une nette recrudescence pour l’époque contemporaine. Il faut considérer aussi que les travaux entrepris ne prenaient en compte auparavant que les rapports dressés par les arbitres et les sanctions infligées par ces derniers. Cette forme d’investigation souffrait de défauts, peut-être rédhibitoires, ne reposant que sur un seul jugement, ne permettant pas de faire la distinction, pourtant essentielle, entre agression instrumentale et agression émotionnelle. Aujourd’hui, on se tourne vers une autre méthode : l’observation directe, plus difficile à mettre en œuvre, mais qui permet d’éviter beaucoup d’inconvénients. On sait que la violence chez les sportifs obéit aussi à une conjonction de facteurs qui conduit à proposer une typologie de ceux-ci. On distingue les facteurs structurels et contextuels. Les premiers ont trait à la structure d’un sport donné : organisation topographique du terrain, découpe temporelle de la compétition, nombre de joueurs, etc. Les seconds sont relatifs aux conditions dans lesquelles une activité peut être mise en œuvre. On peut les sous-distinguer en facteurs situationnels, liés à l’environnement matériel, humain et social et en facteurs personnels intéressant les différents acteurs du fait sportif. Certaines recherches ont abouti aux constats suivants : les comportements d’agression irréguliers sont de type opératoire en ce sens que les sportifs recourent à la violence dans un but utilitaire, dans la perspective de la victoire. C’est seulement chez les jeunes enfants que les comportements non-opératoires, c’est à dire les réactions émotionnelles se retrouvent très majoritaires. Divers facteurs ont une influence :
REACTION AU PHENOMENE Dès qu’un accident sérieux intervient, on voit le monde sportif : joueurs, arbitres, dirigeants, journalistes, reprendre le refrain habituel moralisateur sur le caractère néfaste de la violence. Mais, s’est-on efforcé de dépasser le stade des vœux pieux pour prendre des mesures efficaces ? Ce sont nos intervenants, à ces trois journées décentralisées, qui se chargeront d’apporter des réponses. Car on ne peut pas dire que rien n’est fait : on tient des colloques, on a créé une association française et internationale pour un sport sans violence, on a préconisé des réformes, on développe les challenges du fair-play et pourtant, la progression de la violence se poursuit. La violence n’est donc pas un fait banal de société qui ne doit pas être négligé tant par les autorités sportives qu’étatiques. Les connaissances, notamment empiriques, méritent, sur de nombreux points, d’être affinées, ce qui implique que des recherches plus nombreuses et plus approfondies soient entreprises ; en leur état actuel, elles sont suffisantes pour permettre une appréhension correcte du phénomène et surtout, pour pouvoir affirmer que, si le sport peut être utilisé à des fins de prévention de la délinquance comme c’est le cas dans les programmes mis en place par les conseils communaux de prévention de la délinquance, c’est aussi et d’abord une activité qui, à l’instar des autres domaines de la vie sociale, est l’occasion de la commission de nombreux actes de délinquance : tricherie au sens large, dopage, corruption et de faits de violence qui peuvent être très graves. Le sport a une fonction ambivalente : il est susceptible d’exercer une influence soit positive soit négative sur le comportement des citoyens. Pour terminer, approchons quelques constatations qui influent considérablement sur les comportements :
Un des objectifs du sport est d’améliorer la santé du corps. Tout état ne devrait-il pas favoriser la diffusion de l’ensemble des pratiques sportives parmi la population ? Or, surtout en raison de la médiatisation, les acteurs politiques favorisent souvent certains sports à la mode et négligent les autres. Il se crée une sorte de spirale vicieuse : les sports diffusés par la télévision sont réclamés par les jeunes, les fédérations locales exigent à leur tour, des installations pour répondre à ces demandes l'Etat s’exécute et, finalement, par effet d’inertie médiatique, le pays se trouve devant un déséquilibre de l’offre sportive, reflet de cette médiatisation des sports (exemple : pour le championnat d’Europe de football, le Portugal, pendant plusieurs années, a consacré 1/5 de son budget national pour la seule construction de grands stades ; autre exemple, en France, compte tenu de la surenchère des grandes fédérations : foot, tennis, cyclisme, rugby etc., 75% et plus, des autres fédérations n’ont pas droit à une seule seconde sur le petit écran !). Sans ce pouvoir médiatique, certains évènements sportifs n’auraient jamais atteint la démesure actuelle. Force est de reconnaître, par ailleurs, que jamais au cours de l’Histoire, on aurait pu imaginer que des évènements puissent être vus par une aussi grande partie de la population mondiale ; a tel point que l’on peut s’interroger et se demander si cette structure, véhiculée par la télévision, ne devient pas la culture dominante de la planète. C’est une évidence et sans contestation on peut affirmer que le sport se mondialise, se planétarise ; et la démesure, le gigantisme spectaculaire des évènements sportifs, servent surtout les intérêts des groupes financiers qui se trouvent dans les coulisses du sport. Ces évènements n’auraient pas atteint une telle dimension s’il n’y avait également, les intérêts des chaînes de télévision qui vendent aux publicitaires la massive audience ; ou sans les industries sportives, fabricants d’équipements, de vêtements, de chaussures, de produits labélisés de toutes sortes etc. Sport, télévision et argent se trouvent désormais imbriqués. Il s’est produit une perversion profonde du message sportif. La professionnalisation des athlètes, le mercenariat, constituent déjà un détournement accepté, depuis longtemps. On en arrive au marchandising des épreuves et, fascinés par ce qu’ils regardent, on peut se demander qu’espèrent y voir et trouver, les citoyens. Instrument de domestication des corps et des esprits, le sport peut-être aussi demain, pour des millions d’hommes et de femmes qui s’y adonnent sur un mode récréatif, un moyen de résister au nouvel ordre mondial et de sortir de la jungle où il tente d’enfermer les rapports sociaux. Approche sociologique et culturelle Par Jean-Claude Sicard – administrateur de la FNOMS Le sport moderne oppose au temps festif des jeux anciens, une temporalité construite et spécifique. Aux durées indécises et étirées des affrontements communautaires, il substitue un temps réglé de la pratique, enserré dans des limites précises, découpé en séquences ordonnées, décompté avec minutie. Au calendrier religieux et folklorique des rituels collectifs, il oppose un calendrier propre de compétitions dont les dates n’ont pas d’autre raison que les rythmes annuels de chaque discipline. Cela ne veut pas dire que le lieu ou le temps sportif soient insensibles aux exigences du monde social. L’implantation et l’architecture des stades dépendent étroitement de la manière de gérer les populations comme des profits attendus du spectacle. La durée des parties et des calendriers des compétitions doit se soumettre aux temporalités dictées par les exigences des médias, les rythmes de travail, les habitudes du loisir. Mais la vulnérabilité de la pratique sportive aux incitations extérieures qui peuvent en modifier les conditions d’exercice, suppose le postulat de son autonomie. Celle-ci trouve sa formulation la plus explicite dans l’élaboration des codifications qui norment la pratique. Les conventions multiples, temporaires, incertaines qui liaient les participants des jeux traditionnels cèdent la place, dans le sport moderne, à des règles fixes, visant à permettre une pratique uniforme et potentiellement universelle. Comme le montre l’exemple du football et du rugby, l’histoire de chaque sport est donc, fondamentalement, l’histoire de la constitution d’un corps de règlement, de plus en plus détaillé et précis, qui impose un code unique à des manières de jouer ou de s’affronter qui, auparavant, étaient strictement locales ou régionales. Un exemple comme celui de la boxe montre que les règlements sportifs, comme toutes les autres codifications juridiques, impliquent l’existence d’un corps de légistes chargés de les fixer, de les modifier ou de veiller à leur respect. La différence avec les jeux traditionnels est donc double : d’une part, des règles uniformes remplacent progressivement des usages locaux ; d’autre part, des spécialistes ont charge d’instituer et de dire un droit spécifique qui régit, en dehors du droit commun, les pratiques sportives. Le sport, n’est pas, pour autant, soustrait à la loi, ce qui permet de porter devant les tribunaux des affaires « proprement sportives ». Mais c’est à partir de ses réglementations propres qu’il faut comprendre deux de ses traits les plus fondamentaux : la réduction du niveau de violence tolérable dans les affrontements physiques et le développement d’une éthique de la loyauté qui ne sépare pas le désir de victoire du respect des règles et du plaisir du jeu, quelle qu’en soit l’issue. Ces deux caractéristiques majeures conduisent à la question essentielle : comment situer, dans la longue histoire du processus de civilisation, les transformations de la personnalité qui rendent possible le relâchement des contrôles émotionnels sans que pour autant soit donné libre cours aux mouvements spontanés et dangereux des pulsions et des émotions. Le plaisir de la pratique ou du spectacle sportif tient à l’excitation que procurent une mise en jeu des corps fougueux mais respectueuse de la vie et les péripéties d’une lutte sévère qui n’est, toutefois, qu’un simulacre des affrontements guerriers et violents. Les activités du temps libre qui situe l’exercice ou le spectacle sportif parmi les activités de loisirs, de caractère mimétique ou ludique, ne sont pas toutes sportives, permettant de ressentir et d’exprimer les émotions qui, d’ordinaire, doivent être bridées ou censurées. Un relâchement temporaire, localisé, du contrôle sur les pulsions et les émotions, n’est possible que s’il existe une intériorisation suffisamment forte et répandue des mécanismes de l’auto-contrainte. Ce n’est qu’une fois atteint le stade où les dispositifs de l’autocontrôle commandent de manière identique et régulière tous les compartiments que la libération des émotions peut s’effectuer dans certaines activités sans que pour autant la société soit mise en danger par un retour sauvage de l’agressivité et de la violence. L’apparition du sport comme un strict contrôle de la violence à l’intérieur même de l’affrontement corporel, n’est possible qu’à partir du moment où trois traits caractéristiques de l’avancée de tout processus de civilisation, façonnent largement l’aspect extérieur social des hommes et des femmes : - généralisation de l’autocontrôle - égalité des contraintes dans tous les types de relations - caractère modéré des auto-contraintesLe sport ne peut être caractérisé à partir d’une fonction unique : magique, religieuse, rituelle ou autre, qui partout et toujours serait identique. Il ne peut l’être qu’en rapportant ses règles spécifiques à la structure particulière de la personnalité. Cette structure dépend directement des formes que prennent les luttes pour le pouvoir. Cela suppose la généralisation d’un mode d’exercice du pouvoir, d’un modèle d’affrontement et d’un équilibre des tensions qui fait incorporer, par les individus, un très fort contrôle de leurs émotions, condition même, pour que soit possible et plaisante, tout en étant sans risque excessif, l’excitation émotionnelle provoquée par la pratique et le spectacle sportifs. La violence dans le sport, des pratiquants mais plus encore des supporters, doit être comprise comme une moindre valorisation et une moindre capacité à l’auto-contrainte des pulsions dans une partie de la population qui, de par sa position d’exclusion ou de marginalisation, n’a pas atteint le stade du processus de civilisation qui est celui de la plus grande partie de la société dans laquelle elle vit. Un lien fondamental associe donc les comportements brutaux, prohibés et répréhensibles à une manière d’être qui, loin d’avoir intériorisé le contrôle nécessaire de l’agressivité, reconnaît la violence comme une valeur, et a une position « d’outsider » dans le monde social, à distance des dispositifs institutionnels ou sociaux qu’installent dans les individus, les mécanismes de contrôle de soi. Mais ne réduit-on pas les multiples investissements de sens dont le sport est l’objet dans les sociétés contemporaines en le caractérisant fondamentalement à partir du dispositif psychologique qui le rend possible, à savoir le relâchement contrôlé des émotions ? Et en insistant sur ce trait partagé, n’efface-t-on pas la diversité des pratiques et des consommations sportives, choisies par les groupes et les individus en fonction de dispositions éthiques, de styles de vie, de rapports au corps propre très différents et profondément transformés par l’apparition du professionnalisme ? Les recherches ont permis d’approfondir chacune de ces interrogations, parfois en marquant de fortes divergences dans les manières de concevoir le sport. Les sports ont des fonctions spécifiques pour les participants, pour les spectateurs ou pour les nations et lorsque la forme donnée d’un sport ne remplit plus ses fonctions de manière satisfaisante, les règles peuvent être changées. On différencie les sports selon leurs règles et donc selon le modèle de la compétition. C’est pourquoi ce n’est pas seulement une manière de parler que de considérer l’émergence des sports comme le développement d’un processus et non comme un simple problème historique. Le sport est une activité de groupe organisée qui repose sur une compétition entre au moins deux parties. Il nécessite un effort physique et obéit à des règles dont certaines limitent, lorsque le besoin se fait sentir, l’usage de la force physique. Dans cette compétition, la configuration humaine est ainsi ordonnée qu’elle engendre des tensions tout autant qu’elle les contient. L’une des caractéristiques d’un jeu sportif arrivé à maturité, réside dans le fait que la période de tension n’est ni trop courte ni trop longue. La plupart des sports, comme les bons vins, mettent du temps à vieillir et à atteindre la maturité optimum. C’est la configuration temporaire des joueurs et non la configuration plus permanente instituée par le modèle de jeu lui-même, qui est responsable des imperfections de l’équilibre des tensions, caractéristique des jeux sportifs (par exemple, une victoire précipitée et une impossibilité de conclure sont en partie dues à l’élaboration du modèle de jeu, de la configuration et de sa dynamique ; la configuration est dépourvue de tension si l’un des adversaires fait preuve d’une force et d’une adresse trop écrasantes ; par contre, la compétition risque de traîner si les adversaires font preuve d’une force et d’une adresse égales). Les joueurs doivent trouver le juste milieu entre le respect des règles et des conventions et l’effort pour les exprimer ou les tourner en jouant à la limite de l’infraction. Si pour rester loyaux et beaux joueurs, ils n’exploitent pas toutes leurs chances de gagner, ils risquent fort de voir la victoire leur échapper ; s’ils mettent tout en œuvre pour gagner, le jeu lui-même peut dégénérer. Avec l’internationalisation des règles, la polarité, entre les joueurs qui avaient tendance à respecter les règles et ceux qui avaient tendance à les contourner ou à s’y dérober, s’est doublée d’une autre polarité entre deux groupes, d’une part, les législateurs (de l’organisation nationale) et d’autre part, les joueurs. Les premiers légifèrent avec le souci du jeu dans son ensemble et de ses relations avec le grand public ; les seconds, uniquement préoccupés de leurs chances de gagner, éprouvent l’élasticité de toutes les règles verbales en cherchant des échappatoires et en contournant les intentions des législateurs. L’évolution du sport en général, aussi bien que des sports particuliers, participe de l’évolution plus large des sociétés dans lesquelles ces sports sont exercés, et de plus en plus, puisqu’ils sont pratiqués à un niveau international, de l’évolution de la société mondiale. Au centre de la configuration d’un groupe engagé dans un sport, il y a toujours un simulacre d’affrontement, les tensions contrôlées qu’il engendre et, à la fin, la catharsis (méthode qui consiste à rappeler dans la conscience des souvenirs refoulés), la libération de la tension. Dans la pensée et la sensibilité traditionnelles, les tensions, en tant que phénomènes sociaux, sont tenues pour contraires aux normes (anormales, nuisibles et indésirables). Notre époque passe pour être une des plus violentes de l’Histoire. Cela repose, pour une part importante, sur le sentiment répandu que la violence augmente dans les sports et autour d’eux. Tous les sports sont par essence compétitifs et donc stimulateurs d’agression et de violence. Sur un terrain de sport, les simulacres de combat peuvent relever d’une violence rituelle ou en acquérir les traits. Ce phénomène se produit lorsque, soit par le fait de pressions sociales, soit à cause de récompenses financières ou honorifiques, la participation des gens à un sport est trop sérieuse. Il en résulte une élévation de la tension qui fait pencher la balance entre la rivalité amicale et la rivalité hostile, en faveur de cette dernière. Les règles et les conventions conçues pour limiter la violence et la canaliser de manière socialement acceptable, sont alors parfois enfreintes et les gens se battent pour de bon. Ils jouent afin de causer des torts physiques et afin de faire souffrir. Parallèlement, on en vient, dans les coulisses, à rejeter de plus en plus la violence, à employer le langage de la psychopathologie pour décrire ceux qui y prennent ouvertement plaisir. Cependant, ce processus amène les gens à planifier, à prévoir et à utiliser des stratégies plus rationnelles pour parvenir à leurs fins ; il a pour conséquence également, de provoquer socialement une compétitivité accrue et de contribuer à augmenter le recours à une violence calculée, dans des situations spécifiques. Bien que la presse en fasse peu état, il n’existe guère de pays, de régions ou de villes où les matches de sports collectifs ne donnent lieu à des débordements. Parce qu’il est le plus connu et le plus important, penchons-nous un peu sur le hooliganisme dans le football, en tant que phénomène social. Bien des supporters de football que l’on arrête, n’ont commis que des délits relativement mineurs. Dans des manifestations plus sérieuses cependant, le hooliganisme désigne l’invasion délibérée du terrain de jeu afin d’interrompre un match et, ce qui semble plus grave encore, des affrontements de grande ampleur, souvent violents et destructeurs, entre groupes de supporters opposés. Les faits semblent prouver que si de nombreux supporters sont entraînés dans des incidents, pour les plus durs d’entre eux, « aller au match » implique essentiellement un comportement agressif. Suffisamment habiles pour échapper aux arrestations, ils n’apparaissent pas toujours dans les statistiques de la police. Ils utilisent des tactiques élaborées pour essayer de déborder les forces de sécurité. Les affrontements se déroulent sous des formes bien diverses, que vous connaissez et pas seulement confinés au stade, mais aussi à ses environs, le centre ville, les bars … Les équipes de « combat »’ ou les « super hooligans » sont souvent affiliés à des organisations racistes et d’extrême droite. Ils ne se rendent pas au match avec les moyens officiels, l’un de leurs objectifs est d’engager un affrontement ; la consommation d’alcool ne peut être tenue pour une cause significative ou profonde, les incidents ou la violence sur la pelouse, non plus. Ils ne représentent que des possibilités susceptibles de développer l’agressivité et de se croire autoriser à transgresser les lois. Le hooliganisme est aussi une occasion de mettre en scène le rapport hostile établi avec la police, hors du football, et d’exprimer le mépris des valeurs respectables sur la scène publique. On ne peut également dissocier ce phénomène du désir de démonstration, pour de jeunes adultes, de leur masculinité. Mais le hooliganisme ne correspond pas exclusivement à une tranche d’âge ou à une couche de la population, même s’il ne change pas dans sa forme, son contenu ou ses conséquences. Pour bien comprendre le hooliganisme dans le football, il faut analyser les transformations sociales (y compris économiques) depuis la seconde guerre mondiale, et surtout analyser l’évolution, en premier lieu, de la manière dont les communautés et les valeurs qu’elles épousent sont produites et reproduites au cours d’une durée bien plus longue et en second lieu, de l’intensité variable avec laquelle le football est devenu l’arène où ces valeurs s’expriment. Tous les sports qui comportent une compétition, provoquent une montée de l’agression. Si bien souvent l’agression s’exprime par des formes de violences contraires aux règles dans certains sports, cette violence est une composante centrale et légitime, sous la forme d’une bataille ludique ou simulacre de combat (boxe, lutte, rugby etc.) Le concept de violence étant délimité, il faut préciser que dans le champ de l’activité sportive, celle-ci peut se manifester de diverses façons. Le plus souvent, elle constituera des infractions à la loi pénale que le résultat obtenu ait été ou non voulu. Parfois, il s’agira d’une violence purement accidentelle qu’on ne pourra éviter d’évoquer, au moins dans l’approche criminologique. Le phénomène de la violence dans le sport doit être comme tous les faits sociaux constitutifs de délinquance, appréhendé à partir d’une double perspective : juridique et empirique ; parce que les données collectées par ces deux approches sont de nature très différente. Dans le premier cas, on étudie le phénomène d’un point de vue nominatif. Il s’agit de l’envisager à partir du point de vue du pénaliste, cela implique qu’on laisse de côté les aspects de responsabilité civile pouvant, par exemple, peser sur les clubs ou les fédérations, sur le fondement de la responsabilité contractuelle ou délictuelle, ainsi que de responsabilités disciplinaires ou professionnelles, relevant des instances chargées de rendre la justice sportive. Les normes juridiques varient considérablement d’un pays à l’autre. Dans le second cas, on étudie le phénomène dans une perspective criminologique, au sens large, pour appréhender la façon dont les choses se passent dans la réalité. A – Les infractions de violence spécifiques au milieu sportif. Depuis quelques décennies, on a assisté à un développement considérable du phénomène des supporters. Malgré la crise économique, cela se traduit par des déplacements en masse de groupes de personnes vers les lieux des grandes manifestations sportives (matches de foot, de rugby, championnat du monde d’athlétisme, J.O, etc.) Cela malheureusement se traduit aussi par la perpétuation d’actes de violence d’autant plus insupportables qu’ils ternissent l’idée que l’on se fait du sport. L’augmentation du nombre et de la gravité de ces actes a conduit les autorités à réagir : - Convention européenne sur la violence et les débordements en 1985, élaboration et mise en œuvre de mesures destinées à prévenir et à maîtriser les agissements. Ratifiée par la France en 1987.- En France, loi du 13/07/92, complétée et précisée le 06/12/93, etc. (se référer au guide juridique de JF Lamour). Ces textes ont pour but de dissuader les supporters de recourir à la violence. Ils s’accompagnent d’une mallette d’informations, née de la collaboration du ministère des Sports et du CNOSF. Sept sortes de comportement sont répertoriées (dans une enceinte sportive bien sûr) : - pénétration illicite en état d’ivresse (art. 42.4) - introduction de boissons alcooliques (art.42.5.) - ports d’objets xénophobes (art.42.7) - provocation à la haine ou à la violence (art. 42.7) - pénétration illicite sur l’aire de jeu (art. 42.10) - introduction d’artifices ou armes (art.42.8) - jets de projectiles dangereux (art.42.9) (Vous pouvez trouver toutes les précisions concernant les conditions constitutives et les modalités répressives dans le livre : Série « Que sais je ? » aux Presses Universitaires de France – la violence dans le sport de Jean-Yves Lassale). B – Les infractions de violence non spécifiques au milieu sportif Cette seconde catégorie est en réalité la plus importante. Il est possible de distinguer trois cas, selon que la violence est dirigée vers les personnes, les biens ou l’Etat. La violence contre les personnes est celle qui a le plus grand écho dans l’opinion publique ; il s’agit essentiellement des atteintes à la vie et à l’intégrité corporelle. Il faut noter qu’en droit pénal, le terme de violence est normalement réservé aux seules atteintes corporelles. Mais on comprend que les agressions contre la vie constituent les manifestations les plus graves de la violence et que l’on peut se permettre d’attribuer à ce concept, une signification plus large que celle ayant cours chez les pénalistes. Bien plus que l’élément matériel, c’est l’élément moral qui distingue les deux grandes catégories d'atteintes corporelles, dans un cas, c’est une intention délictueuse, dans l’autre, c’est une simple faute. En milieu sportif, les violences se séparent en deux :
Il faut savoir aussi qu’en droit français, il y a des institutions qui font disparaître le caractère répréhensible de l’infraction, pourtant constituée en tous ses éléments. La plus connue du grand public est celle de la légitime défense. Il se trouve qu’en matière sportive, une cause de justification peut être parfois utilement invoquée à l’endroit de certaines violences volontaires ou involontaires dont la constitution ne fait aucun doute. Si bien qu’il convient de s’interroger sur cette possibilité et sur sa mise en œuvre. Pour invoquer un fait justificatif, il faut en percevoir correctement son domaine et son fondement. Les règles juridiques qui concernent la mise en œuvre de la justification ont trait à ses conditions et à sa preuve. L’imputation des violences liées à la pratique sportive soulève deux séries de questions : celle de l’impunité des personnes morales et celles des causes de non-imputabilité éventuelles. Enfin, dernier aspect de l’étude des atteintes à l’intégrité corporelle d’autrui, lors des manifestations sportives, la sanction de ces atteintes prend d’abord et surtout, la forme répressive mais peut également revêtir un mode non répressif. Les sanctions répressives consistent en des peines principales et des peines complémentaires. D’une manière générale, que le coupable soit sportif, supporter, organisateur, dirigeant, les juridictions répressives ou civiles peuvent lui infliger des sanctions civiles consistant, le plus souvent, en des dommages et intérêts au profit de la victime. De façon plus spécifique, les sportifs, auteurs de violences, peuvent subir des sanctions sportives et professionnelles. Les fédérations sportives sollicitées ne fournissent souvent que des informations fragmentées, largement inexploitables. Cependant, cette criante lacune a été perçue car certaines fédérations commencent à élaborer des instruments destinés à saisir les variations quantitatives des actes de violence commis par les sportifs et des accidents subis par ces derniers Depuis 1995, les ministères de l’Intérieur et des Sports ont mis en place un observatoire. Il reste que cette création représente un très net progrès dans la connaissance du phénomène même s’il semble ne s’intéresser qu’à un aspect de la violence liée aux activités sportives : celle des supporters. C’est dire qu’il faut encore améliorer les choses si l’on veut avoir une idée précise des diverses facettes de la réalité étudiée. Je terminerai sur la violence des sportifs par l’examen de quelques conduites sportives spécifiques qui, en évoluant, ont amplifié le phénomène. A l’analyse, on s’aperçoit que si aucune discipline n’est véritablement épargnée, les actes de violence se rencontrent surtout dans un minimum : les sports d’équipe impliquant un fort contact physique. Des facteurs sont susceptibles d’avoir une influence ou une explication sur la violence sportive : la progression des tactiques défensives, la solidarité, la détermination, plus facile que le génie créatif ou la perfection technique, l’encombrement du terrain résultant de l’augmentation des aptitudes physiques, le manque de sévérité de l’arbitrage, le manque de soutien des arbitres par les autorités, ce qui conduit surtout à éviter les vagues. Autre élément déterminant, l’importance de l’argent pour le haut niveau, a créé des conditions radicalement différentes et pose un problème réel de même que l’impact médiatique présenté par ces activités sportives. De par la combinaison de la structure formelle et de l’interprétation des règles par les athlètes et l’arbitre, les actes de violence sont à craindre de plus en plus selon le sport collectif concerné. Cette violence est légitimée par le discours, tenu habituellement par les entraîneurs, les joueurs justifiant pour tout sport viril, une interprétation laxiste des règles. La clémence coupable à ces actes s’oppose à l’approche de l’idée que le sport doit être une activité de fair-play. Force est de constater également que les actes de violence et d’indiscipline varient avec le temps et l’espace (début et fin de saison par exemple, Nord plus discipliné que le Sud, etc.) Malgré tout, les références aux accidents du passé montrent qu’il n’y a jamais eu d’époque paradisiaque même si les consignes de sévérité données aux arbitres et le barème des sanctions tentent de prouver une nette recrudescence pour l’époque contemporaine. Il faut considérer aussi que les travaux entrepris ne prenaient en compte, auparavant, que des rapports dressés par les arbitres et les sanctions infligées par ces derniers. Cette forme d’investigation souffrait de défauts, peut-être rédhibitoires, ne reposant que sur un seul jugement, ne permettant pas de faire la distinction, pourtant essentielle, entre agression instrumentale et agression émotionnelle. Aujourd’hui, on se tourne vers une autre méthode : l’observation directe, plus difficile à mettre en œuvre, mais qui permet d’éviter beaucoup d’inconvénients. On sait que la violence chez les sportifs obéit aussi à une conjonction de facteurs qui conduit à proposer une typologie de ceux-ci. On distingue les facteurs structurels et contextuels. Les premiers ont trait à la structure d’un sport donné : organisation topographique du terrain, découpe temporelle de la compétition, nombre de joueurs, etc. Les seconds sont relatifs aux conditions dans lesquelles une activité peut être mise en œuvre. C’est seulement chez les jeunes enfants que les comportements non-opératoires, c’est à dire les réactions émotionnelles se retrouvent très majoritaires. Réaction au phénomène Dès qu’un accident sérieux intervient, on voit le monde sportif : joueurs, arbitres, dirigeants, journalistes, reprendre le refrain habituel moralisateur sur le caractère néfaste de la violence. Mais, s’est-on efforcé de dépasser le stade des vœux pieux pour prendre des mesures efficaces ? Ce sont nos intervenants, à ces trois journées décentralisées, qui se chargeront d’apporter des réponses. Car on ne peut pas dire que rien n’est fait : on tient des colloques, on a créé une association française et internationale pour un sport sans violence, on a préconisé des réformes, on développe les challenges du fair-play et pourtant, la progression de la violence se poursuit. La violence n’est donc pas un fait banal de société. Elle ne doit pas être négligée tant par les autorités sportives que par l’Etat. Les connaissances, notamment empiriques, méritent, sur de nombreux points, d’être affinées, ce qui implique que des recherches plus nombreuses et plus approfondies soient entreprises ; en leur état actuel, elles sont suffisantes pour permettre une appréhension correcte du phénomène et surtout, pour pouvoir affirmer que, si le sport peut être utilisé à des fins de prévention de la délinquance comme c’est le cas dans les programmes mis en place par les conseils communaux de prévention de la délinquance, c’est aussi et d’abord une activité qui, à l’instar des autres domaines de la vie sociale, est l’occasion de commettre de nombreux actes de délinquance : tricherie au sens large, dopage, corruption et de faits de violence qui peuvent être très graves. Le sport a une fonction ambivalente : il est susceptible d’exercer une influence soit positive soit négative sur le comportement des citoyens. Pour terminer, approchons quelques constatations qui influent considérablement sur les comportements : - Même si le projet de Pierre de Coubertin était humaniste dans certains de ses textes, il est question d’une société d’élite blanche et masculine. Ce qui a permis à certain discours politique de prendre à leur compte les idées de discipline, efforts et organisation. - L’appropriation des couleurs nationales (sur le corps et le visage) ajoutée à un certain folklore débouchent sur de la xénophobie et sur le rejet des faibles. La pression du spectacle, à l’échelon planétaire, est telle que des minorités politiques peuvent profiter de cette chambre d’écho gigantesque pour s’exhiber. Le premier geste du champion consiste désormais, dès la ligne d’arrivée franchie, à saisir et se draper du drapeau national. Un des objectifs du sport est d’améliorer la santé du corps. Tout état ne devrait-il pas favoriser la diffusion de l’ensemble des pratiques sportives parmi la population ? Or, surtout en raison de la médiatisation, les acteurs politiques favorisent souvent certains sports à la mode et négligent les autres. Il se crée une sorte de spirale vicieuse : les sports diffusés par la télévision sont réclamés par les jeunes, les fédérations locales exigent à leur tour, des installations pour répondre à ces demandes l'Etat s’exécute et, finalement, par effet d’inertie médiatique, le pays se trouve devant un déséquilibre de l’offre sportive, reflet de cette médiatisation des sports ; en France, compte tenu de la surenchère des grandes fédérations : foot, tennis, cyclisme, rugby etc., 75% des autres fédérations n’ont pas droit à une seule seconde sur le petit écran ! Sans ce pouvoir médiatique, certains évènements sportifs n’auraient jamais atteint la démesure actuelle. Force est de reconnaître, par ailleurs, que jamais au cours de l’Histoire, on n’aurait pu imaginer que des évènements puissent être vus par une aussi grande partie de la population mondiale ; a tel point que l’on peut s’interroger et se demander si cette culture véhiculée par la télévision, ne devient pas la culture dominante de la planète. C’est une évidence et sans contestation on peut affirmer que le sport se mondialise et la démesure, le gigantisme spectaculaire des évènements sportifs, sert surtout les intérêts des groupes financiers qui se trouvent dans les coulisses du sport. Ces évènements n’auraient pas atteint une telle dimension s’il n’y avait également, les intérêts des chaînes de télévision qui vendent aux publicitaires la masse, le poids de l’audience ; ou sans les industries sportives, fabricants d’équipements, de vêtements, de chaussures, de produits labellisés de toutes sortes etc. qui se préoccupent, avant tout, de rentabilité et de bénéfices. Sport, télévision et argent se trouvent désormais imbriqués. Il s’est produit une perversion profonde du message sportif. La professionnalisation des athlètes, le mercenariat, constituent déjà un détournement accepté, depuis longtemps. On en arrive au marchandising des épreuves et, fascinés par ce qu’ils regardent, on peut se demander qu’espèrent y voir et trouver, les citoyens. En conclusion: « Instrument de domestication des corps et des esprits, le sport peut-être aussi demain, pour des millions d’hommes et de femmes qui s’y adonnent sur un mode récréatif, un moyen de résister au nouvel ordre mondial et de sortir de la jungle où les enferment les rapports sociaux. » (textes sous toutes réserves de modifications des lois ou statuts.)
|
|